Le 24 mai - Gabès -

 

Aller vers Soi

J’existe dans le regard de l’autre. Parce que l’autre me sourit, parce qu’il me parle, parce qu’il me touche, j’existe aux yeux des autres et du monde. Parce que maman et papa plongent leur regard dans le mien, je me sens exister. En fonction de notre histoire mais surtout de la façon dont nous en avons géré les événements et des blessures qui en résultent, nous n’avons pas toujours ce réservoir d’estime et d’amour de soi rempli.

Alors en grandissant le piège est grand de tenter d’exister et de croire se trouver soi- même dans des relations faussées tournant autour de notre nombril. Ainsi souvent, on sent des personnes s’approprier ; capturer le sourire de l’autre qui est en face pour s’en faire l’auteur, capturer l’étreinte pour la faire sienne jusqu’à étouffer cet autre comme s’il nous appartenait. Capturer des valeurs ou un projet auquel on s’identifie. On observe parfois dans les compliments faits à l’autre, une appropriation des qualités de cet autre : « Regarde, c’est moi qui ai déniché cette personne tellement magnifique, tout le monde a vu que j’allais vers elle ». Attitude de prédateur qui attrape en croyant donner alors que donner ne demande rien d’autre qu’être dans la présence, la pleine présence. Gargarisme de l’ego qui se félicite d’avoir créé chez l’autre une réaction qui alors le rend « meilleur ». Attitude inconsciente de celui qui veut faire du bien et qui s’illusionne en comblant son besoin de reconnaissance. (Capture de l’autre à des fins de reconnaissance de soi). C’est dans cette attitude que l’on trouve toute la pauvreté du bénévolat parfois faussé parce que tourné vers une satisfaction narcissique et non vers l’autre à côté duquel je passe mais ne voit pas. L’ego s’illusionne ainsi en se donnant plus d’importance. Il pense ainsi  panser ses blessures alors qu’elles ne peuvent se désagréger qu’avec l’amour inconditionnel, désintéressé de tout. Se désidentifier toujours en encore. Oser aller de plus en plus dépouillé, vers l’autre, se risquant ainsi à avancer un peu plus vers soi à chaque pas. Ce Soi authentique, divin qui unit et peut tout.

Rien à montrer, rien à prouver, définitivement… Lâchons ces rôles de sauveur, victime et bourreau parfois tellement subtils. Choisissons à chaque instant l’attitude de l’amoureux curieux des autres et qui ne sait rien sauf une chose : celle de ne pas savoir. Complètement ouvert à l’existence de celui qui est en face et qui m’offre sa présence. A l’écoute, tout simplement. Créons des liens qui délient comme le dit Marc et non pas des liens qui créent l’attachement et la dépendance. L’amour est libre, libre de la personnalité, libre des croyances, libre de ce à quoi nous nous accrochons désespérément pour faire bonne figure, pour masquer notre grandeur originelle, pensant mourir si nous levons le voile.

Nous sommes tous des porteurs de ciel, nous sommes tous des porteurs d’abîmes. Nous avons le choix de nourrir l’un plus que l’autre mais les deux servent l’être réalisé.

Cathy Vella-Masseus

Gabès

Les enfants nous accueillentAu programme de ce début journée, déambulation dans la petite ville de Bouchamma. La chaleur commence à être bien présente et chaque caravanier reçoit un joli chapeau de paille en cadeau de bienvenu. De nombreux enfants nous attendent, entraînés par Daniel qui va à leur rencontre et les rallient dans des cris de joie et du cœur. Les clowns se sont parés, Antoine et Cathy nous entrainent au piano, essayant de se faire entendre parmi le concert de mobylettes qui nous entoure, des bulles s’envolent, à l’image de la joyeuse fête qui explose au cœur de cette petite cité. C’est jour de marché, le cortège se faufile entre les étals colorés de légumes énormes, et de fruits estivaux. Saison des fraises, abricots, amandes, pastèques… Les enfants sont très réceptifs aux bisous et défilent pour en avoir : ‘’boussa, boussa’’. On nous offre un abricot par ci, une amande fraîche par là. On nous fait faire quelques mètres sur une mobylette. ou sur une cariole. Parfois, il suffit de faire faire des bulles à un enfant pour que son regard attristé s’illumine. Que d’enfants dans cette petite ville ! Ils nous suivent longtemps jusqu’aux portes de la ville.

 

La déambulation en marcheLes garçons très intéressésRencontreSuivez le clownLe piano de la Caravane

La prochaine halte sera rafraichissante, dans une petite oasis pour déjeuner à l’ombre des oliviers. Bon moment de ressourcement et d’échanges entre caravaniers et avec des représentants de l'Association tunisienne de Tourisme et Auberge des Jeunes / Comité Régional de Gabès qui nous accueillent dans cette nouvelle région parcourue.

Les caravaniers enthousiastes

En milieu d’après-midi, nous sommes attendus dans une Maison des Jeunes. Dans cette région, la population descend de différents peuples venus d’Orient, du désert…créant de magnifiques métissages. Ici, la plupart des enfants ont des ancêtres berbères ou esclaves noirs ; certains ont un regard vert envoutant. Nous interrompons une séance de football et le piano est approché près du terrain. Après quelques mots de Cathy, l’échange se poursuit en musique : autour du piano, les enfants font une file pour improviser avec Cathy ; plus loin, un petit groupe de percussionnistes, nous entraîne dans une danse aux rythmes soutenus ; à l’intérieur, quelques jeunes danseurs nous font une démonstration. On joue au football, à la pétanque, au babyfoot…

Belle journée passée auprès d’une majorité d’enfants.

Visite de la Maison des Jeunes à M’Dou.

Duo inspiréA peine descendus du car que des cris nous attirent, on contourne le bâtiment de la Maison des Jeunes et sur un terrain de foot de terre, un peu cabossé une partie est en train. Les jeunes courent, driblent, se font des passes avec intelligence, sans violence d’où émerge une camaraderie évidente. Pas de vedettes car tous semblent fluides dans leur jeu et leur aisance. Je dialogue avec l’animateur de cette maison des jeunes et lui confie mon émerveillement. Ici pas de terrain gazonné, de vêtements spécifiques et encore moins de chaussures à crampons. Je me retrouve 60 ans plus jeune, un temps où les équipements étaient rares. La simplicité et le peu de moyens seraient-ils facteurs de cet esprit de respect que je ressens ici… même si mon interlocuteur regrette l’absence d’un ‘vrai’ terrain de football.

La partie est finie et le piano prend place. Cathy, sous un soleil torride, mais heureusement protégée par un chapeau de paille de dattier qu’on nous a  offert, commence à répandre son torrent d’amour. Je m’approche d’un homme seul, en retrait vêtu d’un haut de vêtements blanc, lumineux comme son visage. Il travaille à Tunis mais revient très souvent à M’Dou son village natal. Il me dit, sans retenue,  sa confiance dans ce grand mouvement de la révolution.

Découverte du piano pour cet enfant

Faites la queue pour jouer avec CathyUne grande queue d’enfants s’organise au pied du piano, ils attendent calmement leur tour. J’invite le Maire de M’Dou a, lui aussi, faire la queue. L’idée lui plait et nous prenons la file, nous avons au moins dix enfants devant nous, des garçons en grande majorité. Le Maire est élu depuis le mois de mars, plus de 6 000 habitants sur cette commune étendue et divisée en 3 quartiers. Trois écoles primaires, avec au total plus de 400 enfants, pour le collège et le lycée, c’est Gabès. Peu de travail sur place et un grand abandon de l’agriculture. Mais, malgré le peu de moyens, j’ai senti un homme optimiste à l’image du rayonnement de son sourire. Notre attente se prolonge car la file des enfants se nourrit de nouveaux arrivants et évidemment ils sont prioritaires.

Mais l’heure est largement dépassée d’autant qu’un spectacle de danse nous attend. Monsieur le Maire ne jouera pas de piano ! L’arbitre entraineur me confirme sa préoccupation éducative par le football et je lui dis mon ressenti et le félicite.

C’est le départ, au revoir M’Dou, un peu de nostalgie dans l’âme quand, à la fin d’un match de foot, trempé de sueur, écarlate, j’avais le cœur en joie.

Claude

Hamadi ZOUAGHI, Portrait

"Le piano de la caravane, maintenant, il donne tout ce qu’il a – le meilleur de lui-même."

Depuis le début, nous l’appelons Monsieur Hamadi, comme les tunisiens. Hamadi Zouaghi a 71 ans. Il est notre accordeur. Il est monté dans le bus avec nous le premier jour et depuis, il est à nos côtés, au plus près du piano. "Je suis un aveugle  professionnel : né aveugle, j’ai appris mon métier au berceau…  quand on a une fenêtre fermée sur l’existence, il faut en ouvrir d’autres… être aveugle m’a permis d’être plus intuitif, d’être à l’écoute des voix.

Comme dit Balzac, « la voix est le chemin vers l’âme » ; on y sent toute la personnalité d’un être qui se dévoile...

 J’habite dans la banlieue de Tunis avec mon épouse. Je me suis remarié en 2010. Je suis croyant. L’Islam, c’est très simple. Il s’agit seulement de croire et de bien agir. Il y a beaucoup de préceptes : se respecter, respecter la Terre…

-  Voulez-vous bien donner votre propre définition des mots suivants ?

  • Monsieur HamadiGratitude : c’est la qualité des grands hommes. Quand on ne peut rendre un bien ou un service qui nous a été accordé, on doit l’évoquer, le rappeler, on doit faire acte de gratitude.
  • Harmonie : l’Harmonie, c’est l’art d’enchaîner les sons, l’art de mettre chaque chose à sa place pour créer de la beauté.
  • Grandir : il faut essayer de grandir en sagesse.
  • Respect : c’est d’abord le respect de soi-même qui compte. Quand on se respecte, on peut respecter les autres, la Terre.
  • Grâce : la Grâce est une forme de bon comportement avec ses proches ; "n’oubliez pas la Grâce entre vous"  dit le Coran.

 

- Si le langage disparaissait et que vous ne conserviez que cinq mots essentiels ?

  • Je dirais en premier : l’Ordre parce que l’ordre, c’est la beauté. En musique, quand vous déchiffrez une œuvre, c’est informe au début puis quand vous la maîtrisez, vous arrivez à la beauté.
  • Beauté est mon deuxième mot.
  • Propreté est aussi un mot important. Je pense à la propreté de l’âme, du corps, des relations : c’est comme la loyauté.
  • Travail et efficacité sont mes deux derniers mots : le travail permet de fonder une famille, d’avoir sa place dans la société ; le travail amène l’honneur et la confiance en soi. Quand on ne travaille pas, on est comme un papier jeté en l’air.

 

… Excusez-moi, c’est ma femme qui m’appelle au téléphone. Elle tient à me donner des conseils : "Prends soin de toi, pense à acheter un chapeau car vous descendez au sud et il va faire de plus en plus chaud."

… J’ai eu mon diplôme d’accordeur de piano en 1963. J’ai travaillé pour Jacques Higelin, Charles Aznavour, Léo Ferré… Je ne connaissais pas la Caravane Amoureuse ni Planète Positive Action Tunisie. Vu de l’extérieur, c’est sûr, ça paraît utopique ! Comment est-ce qu’on peut endiguer toute cette brutalité, toute cette peur dans laquelle vivent la majorité des gens ?

Pourtant, là où il n’y a pas de solidarité, une société finit par s’effondrer. C’est une des raisons pour lesquelles il ne faut pas tenir compte des idées négatives : les grandes idées font souvent rire au début avant qu’on ne reconnaisse finalement leur valeur et qu’on ne cherche à les exploiter.

Ce qui me marque surtout, c’est le courage de la Caravane Amoureuse : prendre le taureau par les cornes et aller à la rencontre des gens avec le piano. Je suis sûr que ça aura de l’impact. C’est comme en agriculture : une seule plante peut donner tout un champ…

Cécile de Nevers

 


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