Ali est sur la place où le piano a été installé, il prend son café et vient de lire le « Chant des libres », il me confie : « A la fin de la lecture les larmes étaient au bord de mes yeux ». Je lui promets de transmettre son émotion à Marc. Et il me parle de sa vie, bien tumultueuse avec la boisson, les femmes lorsqu’il vivait en Allemagne et tout à coup il s’interroge sur le sens de sa vie et décide de retourner au pays, à Djerba. Une vie transformée, il se marie, il a deux enfants et leur donne un chemin de vie de respect et de partage. C’est toujours la même histoire, et c’est sans doute la raison pour laquelle il fut si ému après la lecture du poème de Marc. On vit, on se saoule de liberté et puis tout à coup on constate que ça n’est pas une vie juste.
Pendant ce temps, le piano est pris d’assaut, de jeunes talents s’expriment avec beauté, un violoniste répond au piano ou s’ajuste, une jeune guitariste, un chanteur, c’est la première fois que les musiciens tunisiens se montrent vraiment.
Les télévisions sont là aussi, les interviews se succèdent, un journaliste d’une revue « Escapades » me demande de donner mon sentiment sur notre escapade tunisienne beaucoup plus vraie dans la formule « Caravane de la Paix ». Je rencontre aussi le Président du Festival de la Paix et de la Tolérance de Djerba, le Docteur Ben Messaoud Chedly que j’ai tenté de convaincre à modifier le terme « tolérance ». Il m’explique qu’en arabe cela ne veut pas dire tout à fait « tolérance » mais que pour l’instant ils n’ont pas trouvé mieux. Il m’a promis de poursuivre cette réflexion avec ses amis. Pourquoi pas pour le troisième « Festival des chemins de Sagesse et de Paix » ? Je sais comment le joindre, je vais lui faire la suggestion.
En réalité pour ce festival, plus de 200 bénévoles se sont mis en action, c’est impressionnant. Des festivités diverses : nage de la Paix, Carnaval et animations artistiques, arrivée d’un bateau « Ulysse » au port de Houmt Souk (Il ne faut pas oublier qu’Ulysse dans son Odyssée a failli la finir à Djerba, île idyllique !) et enfin un grand concert à la Marina. Beaucoup de bruit et d’excitation : je ne suis pas sûr que ce soit ainsi qu’on accède à la Paix. Personnellement je crois beaucoup plus au silence…
Finalement la caravane a eu une petite place et nous, caravaniers, n’avons pu nous mêler au grand flot de cette journée.
A nous de savoir instiller un autre esprit à cette journée festive … si, de nouveau, nous y sommes invités !
Claude
Ce matin, plusieurs caravaniers ont profité d’un lever matinal pour se balader dans le cadre magnifique de l’ancien village de Douiret, sa mosquée souterraine, ses habitations troglodytes abandonnées, avec vue sur les collines alentours… couleur ocre agrémentée du vert des quelques rares cultures.
A 7h30, rendez-vous au bus pour quelques heures de trajet vers le Nord, jusqu’à Djerba.
Nous y arrivons en fin de matinée. Le piano est installé près du souk pour un premier concert improvisé, en petit comité…La première information donnée aux caravaniers était un rendez-vous 1h30 plus tard pour le déjeuner, nombre d’entre eux profitent donc de se perdre dans les nombreuses boutiques pour de dernières emplettes.
Les djerbiens semblent musiciens… Quelques enfants s’approchent avec des flûtes. Un jeune pianiste improvise avec Cathy, tremblant et peu à l’aise hors des partitions qu’il a en tête… après quelques minutes, c’est magnifique de le voir lâcher peu à peu, laisser sa musique intérieure s’exprimer. Après ce moment magique, il remercie et confie que dorénavant il n’aura plus de trac. Puis c’est Mourad qui, avec sa flûte, vient accompagner le piano un court moment. Cet homme d’une cinquantaine d’années partage un grand magasin de souvenirs avec une quinzaine de vendeurs. Je discutais avec un de ses fils à l’avant de la boutique près du lieu du concert. Ce jeune de 18 ans se dit peu intéressé par la musique, comparé à son petit frère de 8 ans et son papa qui fait de la flûte. L’aîné est en vacances depuis hier, il vient de terminer sa troisième année d’études secondaires. L’an prochain, ce sera le baccalauréat. Il espère réussir mais les doutes l’envahissent. Il aimerait devenir docteur. Je lui parle de confiance en soi, son regard s’éclaire. Je suis sûre qu’il réussira. Leur père, Mourad, arrive au magasin ; il travaille mais je réussi à le convaincre de venir quelques instants près du piano, pour une improvisation. Il se lance timidement avec sa flûte pour une douce mélodie aux sonorités tunisiennes. L’émotion emplit ses yeux, ceux de ses deux fils, puis de tout le public…
Le piano est ensuite déplacé pour un deuxième moment musical sur une autre place du souk à partir de 16 heures, après la déambulation du carnaval. Cette seconde édition du festival pour la paix et la tolérance rassemble de nombreux djerbiens. Ils apprécient la musique et s’approprient vite le piano. Très vite, un violon l’accompagne. Puis une derbouka, une guitare… ils entrainent les spectateurs dans des chants traditionnels qui ravissent l’auditoire. Le public est nombreux, touché par le message de la Caravane Amoureuse et de cette musique qui se partage. Le concert se prolonge jusqu’à 19 heures… Difficile de mettre fin à la magie et à la joie de l’instant. Nous partons vers l’hôtel corps et cœurs vibrants de cette belle énergie.
Laële
Nous sommes reçus à Djerba pour notre dernière journée de Caravane amoureuse, dans le cadre du festival pour la paix et la tolérance auquel nous participons avec d’autres groupes variés. Basés sur une des places de la ville, je commence à jouer. Arrive d’abord le gérant du café d’en face, qui n’a jamais touché un piano et avec lequel nous jouons une musique « aquatique » fluide et évidente comme si nous avions joué ensemble bien des fois auparavant… Nous sommes touchés. Puis arrive un jeune garçon, qui apprend le piano mais n’a pas confiance en lui. Il joue quelques mélodies à la main droite en affirmant ne pas savoir jouer de sa main gauche. Il ne croit pas beaucoup en lui. Nous improvisons et tout doucement il accepte d’entrer dans le jeu. Petit à petit il se met à jouer de sa main gauche. Lorsque notre jeu prend fin, je lui parle presque à l’oreille, de sa beauté. Manifestement, il reçoit mes mots et nous dit qu’il nous rejoindra cet après midi sur la place sur laquelle nous jouerons. Arrive ensuite un monsieur gérant de magasin, qui s’approche avec sa petite flûte. Nous jouons d’abord à quatre mains et il dépasse ses appréhensions liées à l’instrument pour se mettre à l’écoute. Le dialogue fonctionne et la musique se crée. Puis nous tentons un duo piano flûte et là aussi bingo, c’est magique ! Il a le regard éclairé, touché, étonné et reconnaissant. Moi aussi. Il repart aussitôt après car son magasin l’attend nous dit-il.
L’après-midi est tout aussi incroyable : un jeune tunisien de 21 ans, étudiant et professeur de piano au conservatoire de Djerba arrive aussitôt le piano posé et enchaîne les mélodies connues, les styles variés et quelques compositions. C’est un amoureux du piano, il est aux anges… Nous apprendrons plus tard par Isabelle qu’un gérant d’hôtel est venu à sa rencontre et lui a proposé un contrat quotidien pour jouer en soirée dans son établissement… Une jeune guitariste s’approche ensuite et nous chante une de ses créations « On a le droit de rêver », hommage au rêve et à l’amour. Les quatre mains défilent tout l’après midi avec petits et grands ; les néophytes, les pianistes amateurs et confirmés, tous viennent offrir leur musique, chacun dans leur style. Que de pianistes à Djerba ! Tous sont si fiers de pouvoir jouer devant toute cette audience. Les Tunisiens et Tunisiennes s’approprient l’espace, le piano, et créent l’ambiance. Arrive un violoniste. Je lui propose d’improviser avec moi. Cela fonctionne assez rapidement. Il est ravi car peu habitué à l’exercice et heureux de ce partage. De là, de jeunes tunisiennes expriment leur envie de chanter des chants tunisiens que je ne connais pas. Je fais appel à notre beau pianiste tunisien et c’est parti ! Le chant crée la contagion dans tout le public et les sourires s’affichent sur tous les visages. L’énergie de partage, de joie et d’amour est bel et bien au rendez vous. Arrive notre jeune pianiste du matin et à ma grande surprise, il me demande de jouer avec un de ses amis. « Mes amis sont venus m’écouter » me dit-il. Il n’a plus du tout peur comme ce matin ; au contraire il ne veut plus s’arrêter et lui aussi fera chanter tout le public grâce à un air connu. Ce n’est pas le même garçon… Tous osent, tous s’offrent la place. Tous se reconnaissent… Quelle journée !
Le fil est tendu en permanence de sorte que l’énergie de confiance et d’amour monte, aux aguets de la moindre personne qui aurait envie… Bonheur absolu. Merci.
Cathy
Tu es mon frère de cœur
Mon ami pays de Tunisie
Mes peurs sont tombées
Mon cœur s’est éclairé
Et je ne peux que t’aimer
Tu recèles tant de générosités
Beau pays, empli de diversités
J’ai vu tes villes bruyantes et enivrantes
J’ai vu tes collines sous un soleil rasant
J’ai vu tes habitats divers et charmants
J’ai vu ta mer de sel panorama étonnant
J’ai vu tes rivages aux vagues apaisantes
Puis j’ai vu ton désert si envoutant
Là je me suis blottie aux creux des dunes
Laissant le sable si doux me caresser tel une plume
Puis j’ai chanté doucement à la lune
La promesse d’un retour un beau jour de brume
J’ai vu tes étoiles par milliers !
J’ai entendu ton silence émerveillée
J’ai admiré le lever du soleil bouche bée
Et même en silence je l’ai accompagné à son coucher
Pays Ami Tunisie
Tu as laissé une graine au fond de mon cœur
Que je vais laisser germer pour ne plus avoir peur
Je reviendrai soi en sûr
Je chanterai mon cœur pur
Peut-être découvrant ma vraie nature
Avec les femmes de ton pays
Je chanterai l’amour et la liberté
Mon doux pays ami Tunisie
Soizic