Caravane de la Paix à Tataouine
Association Planète Positive Tunisie du 31 May 2014
Nous irons tous à Tataouine, non pas pour le bagne comme l’expression le laissait entendre il y a plus d’un siècle, mais au contraire avec notre caravane car nous allons porter le message de Paix que tout être humain attend. On nous laisse entendre qu’ici compte tenu de la proximité de la frontière Lycienne et de la guerre civile qui s’y développe entraînant une fuite éperdue des populations (notez que 950 000 Libyens se sont réfugiés en Tunisie depuis la révolte contre Kadafi) Il faut être très vigilant sur notre manière de porter notre message, d’ajuster nos gestes, de modérer nos élans éventuels de spontanéité.
Nous arrivons à Tataouine et entrons directement dans une grande salle de théâtre. Là une foule de jeunes enfants et adolescents et leurs parents nous attend. La sono est bruyante à ne pas comprendre ce qui est dit. Mais il y a de la joie, de l’entrain. Un spectacle nous est offert et en préambule il y quelques interventions des organisateurs et d’Isabelle, Cathy et Monique puis de jeunes garçons et filles dansent dans un carrousel bien maîtrisé par les enfants, la musique les entraîne.
Bravo petits car vous ne dépassez pas six ans. Puis ce sont d’autres enfants vêtus d’ensemble fastueux et étincelants. Tout est bien ordonné. Que de répétitions a-t-il fallu faire pour obtenir ce résultat ! On sent les parents très fiers de leurs petits. Bientôt la fête se termine, il y a de la joie et du partage entre les caravaniers, les jeunes, les adultes.
Nous entamons alors une déambulation derrière le piano et nos distributions du ‘Chant des Libres’. La ville est active et nous grossissons les encombrements mais les gens s’en accommodent bien. Pas de geste négatif, des sourires, des mains qui se frappent, des explications sur la Caravane de la Paix.
As-salâm 'aleïkoum : Que la Paix vous bénisse !
Claude
Le groupe se divise en deux. L’un rencontrera trois Ivoiriens accompagnés par le groupe PlanetPositive de Tatatouine. Ils ont vécu une longue itinérance et tentent de survivre en fabriquant des bijoux à partir de galets. C’est un long ponçage dangereux pour leur santé avec une poussière corrosive et un vernissage qui donne de la profondeur et plus de couleur à la pierre.
L’autre groupe ira visiter le service pédiatrique de l’hôpital. J’en suis. En réalité nous rencontrerons trois enfants. Un bébé de un mois et 20 jours qui a une forte fièvre et pour lequel on fait un diagnostic total. La Maman, belle, recouvrant avec tendresse son petit dès qu’il se découvre et, dans un élan d’amour confie le bébé aux bras de Claire. L’enfant a senti la confiance de sa Maman et blotti contre l’épaule il s’est arrêté de pleurer. Claire a eu quatre enfants, elle sait. En face une jeune fille 8-9 ans le regard triste, on ressent sa douleur, son inquiétude, même la musique que Cathy lui offre ne déride pas son visage. A côté un jeune garçon de 4-5 ans, Mouhad, je tente de l’apprivoiser et je réussis. Nous chantons ensemble et dansons avec nos mains sur les mélodies de Cathy et sa flûte indienne. Le regard de l’enfant s’éclaire de plus en plus, il sourit. La joie, un rayon de soleil. Je l’invite à chanter « je m’appelle Mouhad, bientôt je ne serai plus malade » comme une ritournelle, c’est la fête !
Il est temps de quitter tout ce monde, les enfants, les Mamans et le personnel soignant. Je retourne vers la Maman du petit bébé et je l’assure que son enfant va guérir. Ses yeux rayonnent.
Encore une fois, l’Amour disponible dans notre cœur si nous en inondons ceux qui nous entourent, devient magnétique et ouvre toutes les portes, même les plus hermétiques !
Claude
"Je m’appelle Chaka. En créant, je peux apporter quelque chose et ça me redonne beaucoup d’espoir... Dans le camp de Choucha, il n’y avait rien à faire. J’ai commencé à ramasser des cailloux, des galets. Puis j’ai eu l’idée de les poncer avec du papier de verre pour dégager une surface plane. Sur cette surface, je fais un dessin. Parfois, un symbole africain, parfois les vagues de sable du camp quand il y a des tempêtes. Avec mes amis, Zorro et Alfarid, on faisait tout à la main au début. Maintenant on a un outil pour la gravure du dessin mais on ponce toujours à la main. C’est très dur et très long".
Ils sont trois. Trois jeunes ivoiriens montés dans notre bus à Tataouine. Depuis trois mois, ils sont hébergés dans le local de Planète Positive Action Tataouine dont le président, Tahar El Hajji explique : "Je crois toujours en la capacité de l’Homme. Le plus fort, c’est celui qui résiste."
Leur histoire est celle de la guerre et de l’exil. Celle de tant d’hommes, de femmes et d’enfants dans le monde. La perte des êtres chers, la perte des repères, les souffrances vécues se devinent dans les silences poignants qui mettent en lumière les paroles échangées. Les mots sont rares. Ils viennent difficilement.
De la Côte d’Ivoire au Ghana, du Ghana en Lybie où Chaka travaille comme mécanicien et Zorro dans une entreprise de couches jetables. Puis de nouveau, la guerre les rejoint et les pousse plus loin. Il faut s’enfuir. Traverser la frontière. Arriver en Tunisie, au sud, dans le camp de Choucha ouvert en 2011. A 80 kilomètres de Tataouine, dans la chaleur, les tempêtes de sable et de poussière, affluent des milliers de personnes. La demande d’asile a été déposée et rejetée par l’Etat. Ils sont des « sans papiers » qui cherchent à s’intégrer en développant un artisanat original : la création de bijoux tirés des pierres du camp.
Plus que des vivants, ils sont des sur-vivants habités d’une énergie vitale qui leur a permis de résister. Ils viennent à nous le cœur nu.
Réduire leur personne à leur histoire passée serait une erreur dont il faut se garder. Ils sont bien plus que cela et en témoignent en nous donnant une leçon d’humanité :
Cécile de Nevers
C’est avec une émotion indicible que j’ai écouté dans le bus des bribes de l’histoire de l’arrivée en Tunisie de nos jeunes amis ivoiriens suite à la guerre dans leur pays. Quelle force de vie, quelle présence, quelle résilience… Comment ne pas être touchés en plein cœur par ces êtres qui ont tout perdu, à qui l’on a fait vivre des horreurs, qui n’ont plus de papiers et qui sont rejetés en permanence. Tout les amènerait à perdre leur identité et à ne plus croire en eux… Tout les amènerait à cultiver la froideur, la fermeture et la rébellion, et pourtant il n’en est rien… Comment vivre et trouver sa place dans un tel contexte ? Cela force l’admiration et relativise tellement nos petits soucis personnels. Je suis traversée une seconde par la pensée de vivre une telle situation ; d’être séparée de mes enfants et de mon mari dans un contexte d’exil, j’imagine la douleur, et les larmes me montent… L’avenir leur est étranger nous dit l’un d’eux ; seul l’instant présent compte « je ne sais pas si je serais vivant demain ».
Accueillis par Planet positive Action Tataouine, ces trois ivoiriens ont réussi à trouver un espace pour survivre et créer. Chaka et ses amis passent ainsi leurs journées à poncer des pierres, Chaka y dessine des formes qui sont ensuite sculptées pour en faire des bijoux symboles de vie et de sacré. C’est tout simplement magnifique. De vrais talismans qui n’ont pas de prix. Nous avons découvert leur atelier on ne peut plus simple où la poussière est reine et ne les épargne pas. Polir encore et encore la pierre brute pour la transformer en une matière si douce. Cette pierre travaillée tant d’heures est bien à l’image de ces jeunes qui cultivent la douceur et l’espoir d’un monde plus paisible.
Le soir, nous sommes hébergés dans un lieu incroyable : Douiret, ancien village troglodyte inhabité dans un paysage irréel qui semble n’exister que dans les rêves. Là nous retrouvons nos amis ivoiriens et Tahar qui ont fait le chemin depuis Tataouine pour passer la soirée avec nous. Avant leur arrivée, Laële et moi découvrons avec surprise l’installation d’une sono, de projecteurs et la présence d’un DJ pour animer la soirée ! « Faire l’ambiance » nous disent-ils ! Or, il nous est impossible d’imaginer participer à une « ambiance » qui ne colle en rien avec l’esprit du lieu et de la Caravane de la paix. Il nous faut alors trouver les mots à Isabelle et moi pour expliquer le plus délicatement possible que nous faisons le choix de ne pas subir ce « cadeau » et que nous avons soif de contemplation, de silence et de paix intérieure. La demande est entendue et la soirée se transforme en un cercle d’hommes et de femmes réunis autour de bougies, et exprimant leur gratitude, leurs rêves et leur créativité au travers d’histoires collectives inventées. Les chutes de celles-ci sont tantôt fantaisistes, tantôt humanistes tantôt burlesques. La soirée se termine dans des étreintes de cœur avec chacun et nous voyons repartir nos amis avec joie et émotion. L’essentiel est dit.
A l’instar de ces jeunes, vivons pleinement !!
Cathy