Robert nous réveille en douceur, avec le piano… à 5h45 !
Départ pour un village Mursi. Même si Abéjié a tout préparé et que notre visite est depuis longtemps annoncée, un protocole est à respecter à chaque arrivée dans une tribu. Tout d’abord Abéjié rencontre le chef du village, il rappelle les conditions de notre visite et verse une partie de la somme négociée pour prendre des photos. Le complément sera donné à notre départ.
Notre visite (trop ?) rapide chez les Mursi nous laisse un goût étrange. Nous venons vers eux le cœur ouvert, et – au-delà de la rencontre autour du piano – nous sommes reçus comme de simples touristes (la ronde des 4x4 est incessante ici) tout juste bons à acheter leurs souvenirs, donner nos t-shirts, des bonbons, ou monnayer les photos que nous prenons. Ici plus qu’ailleurs, le tourisme a transformé ce peuple fier en un groupe de mendiants, rendant très difficile un contact authentique.
« J’aperçois Janik au milieu d’un groupe de jeunes Mursi, je les entends rire dans une ambiance détendue. Je m’approche pour partager cette bonne humeur. Amtou, le frère d’Abéjié, sert d’interprète, ils sont en train de discuter la dot que Negole, l’un d’eux, serait prêt à verser pour prendre Janik comme épouse : 30, 40… 100 vaches, les enchères montent, alors qu’elle ne porte même pas de plateau (en bouche). On lui promet même la protection contre les autres épouses. Nabuk se met sur les rangs des prétendants, ses yeux sont si expressifs que son seul regard suffit à nous faire comprendre que Janik lui plaît ! Entre jeunes gens de tous les pays, les codes sont les mêmes… Pendant ces quelques instants, les frontières n’existent plus !! »
Chantal
« Me voilà au fait… Chez les Mursis, trois maris potentiels, le plus entreprenant ayant proposé une dot de 100 vaches (ce qui est très important quand on sait qu’une première femme - la polygamie est courante - peut entraîner une dot de 50 vaches). Je ne porte pourtant pas de plateau en bouche : or plus le plateau est grand, plus la dot l’est également ! Un moment de franche rigolade avec ces jeunes hommes Mursis, me dévorant tellement des yeux, que, gênée, j’en riais profondément… Pourtant, j’étais mal à l’aise en arrivant. Peut-être un décalage trop important, des a priori malgré moi. Peut-être le soleil de plomb, la multitude de mouches. Peut-être l’insistance des femmes à vouloir se faire prendre en photo pour être payées ensuite… Je m’étais mise en retrait, observant de loin la bulle créée autour de Marc et du piano. La bulle me semblait belle. Mais voilà, cette mise en retrait, ce pas de côté, ont manifestement piqué de curiosité les jeunes hommes Mursis… et c’est là que la rencontre a eu lieu. Je n’oublierai ni leurs regards (quelque peu concupiscents, il faut bien l’avouer) ni nos fous rires. Un magnifique moment. »
Janik
« Longue route en partie dans le brouillard… "elle est bonne" nous a assuré Abéjié… Mais précisément ce n’est qu’une route en terre qui serpente à travers le parc du Mago, une région très montagneuse. Fraichement réalisée par les chinois à la demande du gouvernement, pour une très prochaine usine de canne à sucre, elle est très fréquentée par les camions qui transportent des containers, par les bus locaux et les militaires…
Nous arrivons à proximité de l’ethnie des Mursis avec leurs fameuses femmes à plateau. Une des théories sur l’origine de cette pratique était la volonté d’enlaidir volontairement les femmes du village afin qu’elles ne soient pas enlevées pour l’esclavage.
Nous finissons le chemin à pied, accompagnant Marc qui joue du piano sur le pick-up, à la rencontre des habitants qui viennent vers nous en chantant et dansant.. Les hommes sont d’un coté, les femmes de l’autre… Pas de photos pour le moment…
Les femmes ont des plateaux sur la lèvre inférieure et/ou les lobes des oreilles distendus. Pour arriver à placer des grands plateaux, les inclusions sont de plus en plus importantes avec le temps, afin d’agrandir les trous. On utilise au début des disques de bois. Certaines n’ont pas leurs beaux atours, et les oreilles et les lèvres pendent ! Il s’agit bien de parures, car les plus belles sont celles qui ont les plus grands plateaux ! et la dot est en conséquence. Les deux incisives du bas sont cassées pour laisser passer des potions en cas de maladie, ce qui laisse aussi un passage pour envoyer les crachats !
Les hommes sont, pour la majorité d’entre eux, grands et beaux. Ils se donnent des allures de fierté avec leur bâton très grand et fin.
Marc continue à jouer et invite les villageois à venir à ses cotés… apparemment ils ont du mal à tenir le rythme !
Assez rapidement les femmes et les enfants sortent des petits disques de leur panier qu’ils tentent de nous vendre : ce sont les fameux plateaux ! Ils sont en terre cuite avec des dessins. Il y en a des petits, des grands, des noirs avec dessins blancs, des noirs avec dessins de la même couleur, d’autres en terre cuite naturelle… Parfois les femmes se disputent entre elles pour savoir à qui revient l’argent…
Bien sûr il y a les « hello-photo-photo ». Un groupe de trois filles tente même de se faire prendre en photo en tenant un plateau devant leur bouche ! J’essaye de me mettre à coté d’elles en faisant la même supercherie et leur propose de me prendre en photo, mais elles n’apprécient pas. Tiens, tiens, toutes n’ont pas les lèvres percées… ??? Serait ce un signe de rupture dans les traditions ?
Ca y est, c’est déjà le signal du repli difficile vers le car.
Nous sommes assez perplexes sur cette entrevue trop rapide, avec un contact « commercial » assez marqué, sans suffisamment de communication profonde ! »
Francis
« Au milieu de jeunes filles Mursi, je sors ma boîte d’embol, mélange d’épices indiennes qui fait office de dentifrice, de rafraichissant pour la bouche et aide à la digestion. Je leur fais sentir, en pose sur un plateau, leur fait mouiller leur doigt pour en goûter. Ca leur fait des sensations étranges dans la bouche et l’une d’elles crache avec dégout. Les autres semblent apprécier et sourient de bon cœur. On échange nos prénoms. Cela a permis de dépasser la relation liée à l’argent.
Je chante au clair de la lune. Les jeunes filles sont attentives. Elles sourient puis entonnent une chanson Mursi qu’elles tentent de m’apprendre ».
Estelle