Au réveil de cette première nuit chez les Hamers, les enfants s’approchent des tentes et nous observent. La plupart sont nus ou enveloppés dans une couverture. Ils sont curieux de nous découvrir chez eux et regardent comment mangent, s’habillent, vivent… des farenguis (blancs).
Les caravaniers se divisent dès le matin en deux groupes :
15 personnes restent à Lugera aux bons soins d’Abtamou, le frère d’Abéjié ; une journée consacrée à la découverte du village et de ses habitants : de belles rencontres.
Marie-Claire, Danièle, Pascale et Christine nettoient et soignent quelques bobos bénins, des yeux collés, des plaies superficielles. Au fil des minutes la file d’attente s’agrandit. Les femmes viennent avec les enfants, certains enfants voudraient se faire soigner alors qu’ils sont sans bobos ! la relation change en perdant un unique statut de touriste.
Dans le village de cases des hamers, visite le matin chez les femmes.
« Nous allons à la rencontre de femmes avec lesquelles un contact avait été établi la veille. Nous sommes accompagnés par un traducteur Hamer : Siguido, jeune homme issus de ce village et qui fait des études. Nous sommes cordialement invités à pénétrer presque à 4 pattes dans une case traditionnelle ; Hubert a déclenché un rire général plié en 4 car impossible de se tenir debout.
Toit conique en herbes arrachées rangées harmonieusement par paquets, murs en piquets de bois ajourés pour permettre l’aération naturelle et l’évacuation de la fumée du foyer. A l’intérieur, terre battue, peaux d’animaux sur le sol et calebasses suspendues. Un étage pour le couchage des femmes, des enfants et pour les réserves de sorgho et les instruments de cuisine. Le foyer allumé témoigne de l’accueil chaleureux du couple présent. « nom ».
Après les présentations nous faisons connaissances avec 2 femmes mariées dont l’une est enceinte de son premier enfant, les 5 autres sont des jeunes filles promises à leur futur mari dès l’âge de 3 ans. Elles arborent des scarifications rituelles leur donnant un vrai statut de femme dans la communauté.
Le traducteur est appelé à l’extérieur. Nous décidons de peindre une aquarelle à leur laisser pour créer un lien plus authentique sans passer par le langage. Surprise ! elles demandent des feuilles, des pinceaux et des couleurs. Leurs dessins expressifs ou abstraits sont de véritables œuvres d’art et témoignent de leur créativité artistique. Elles dessinent avec application en parlant, riant et chantant. Puis elles nous traduisent leurs dessins : peinture décorative ou figurative : serpent- gouni, humain- eti, chameau, autruche. Elles signent et acceptent que nous les prenions en photos avec leurs dessins.
Après ce moment exceptionnel d’expression commune la barrière des cultures semblait abolie. Nous sommes vite retombées dans la réalité lorsqu’elles nous ont réclamé des vêtements. Nous étions juste en dehors du temps et des codes, simplement en osmose avec des femmes peignant.
Nous nous sommes quittés en paix lorsqu’elles ont compris que l’échange aurait lieu au niveau du village. »
Marie-Claude Jean-Marc, Hubert et Christine
Installés dans une maison qui abrite une famille de 6 ans, Muga, notre guide, nous décrit la vie quotidienne des Hamers. Les femmes sont chargées d’aller chercher l’eau et le bois tandis que les hommes emmènent paître les troupeaux. Chaque famille dispose d’un terrain en dehors du village labouré par les hommes et cultivé par les femmes…
Puis viennent les questions plus personnelles sur la santé, l’école. Un ou deux enfants par famille sont envoyés à l’école primaire du village qui accueille les enfants de 7 à 10 ans. Seuls deux jeunes garçons du village poursuivent des études secondaires à Turmi.
Nous échangeons ensuite très librement sur nos pratiques respectives comme le mariage, la place de la femme. Chez les Hamers, liberté sexuelle avant le mariage avec interdiction de faire des enfants, il existe des plantes contraceptives pour les femmes et pour les hommes.
En interrogeant le chef de famille – un homme mûr faisant preuve d’une grande tendresse envers ses enfants – sur sa compréhension de la Caravane amoureuse, celui-ci nous dit avoir compris que nous étions porteurs de paix.
Pour notre guide l’avantage de la civilisation occidentale est l’éducation. Dans la façon de vivre des Hamers il aime tout sauf la tradition de fouetter les femmes. Et s’il devenait chef il abolirait cette pratique.
Un moment magique : Soizic entonne un air, auquel s’associent Kala, Ko et Siki, trois jeunes garçons hamers. Les voix se mèlent créant un chant très doux. Puis Kala apprend à Soizic un chant hamer. Et quand elle bute sur les mots, le groupe s’esclaffe. Un merveilleux moment de communication par la voix !
« En rejoignant la Caravane Amoureuse, je n’étais pas sûre de la place que prendrait la guitare qui m’accompagne chaque fois que je pars loin… Mais cet après-midi là, posés à quelques-uns chez les Hamers, elle était évidente, sa place. On avait passé une bonne partie de la matinée à partager leurs chants, leurs mélodies, leurs danses, à l’initiative de Soizic... Des moments où ils riaient aux éclats de nous voir mal prononcer les mots mais souriaient de nous voir essayer. Dans la continuité de cette énergie, j’ai sorti la guitare. Et nous avons chanté, ensemble, les « classiques » de la chanson française, avant que certains ne s’essayent eux-mêmes à la guitare. Mana était parmi les Hamers présents. Il avait été particulièrement actif la matinée, comme Moga. Mana répétait chaque phrase avec une attention particulière, et une très bonne oreille, vraiment. Si les mots étaient souvent incertains, la mélodie était toujours parfaite… Anne Sylvestre, Agnès Bihl, Leny Escudero… Jusqu’à ce que Claude Nougaro s’invite, avec Armstrong. « Armstrong, je ne suis pas noir, je suis blanc de peau… Quand on veut chanter l’espoir, quel manque de pot ». En cet instant, à cet endroit, chanté avec Mana, ces mots ont pris une dimension supplémentaire. »
Janik
« Lors de mon précédent séjour, il y a 4 ans, j’avais fait quelques portraits de femmes chez les Hamer et les Karo. Sachant que nous repassions par ces villages, j’ai imprimé une dizaine de clichés que je souhaitais remettre aux intéressées.
Je montre les photos à un groupe de femmes. Immédiatement elles reconnaissent une femme d’un autre village, prennent le cliché sans doute pour le lui donner. L’une d’entre elle me propose même dix birrs pour me remercier, je refuse car c’est un cadeau. Elle se fâche et insiste fermement pour que je prenne l’argent.
Deux vieilles femmes s’approchent et regardent. Soudain, elles se saisissent de deux photos, se mettent à crier en se bouchant les yeux et me demandent de m’éloigner. Les femmes des photos sont sans doute décédées.
Je suis ému. Peut-on penser que la photo papier qui concrétise l’image, représente plus pour les Hamer que pour nous ? Ont-ils une notion différente de l’interprétation de l’image ? Est-elle reliée à l’âme du défunt ? Quelle est la responsabilité du photographe quand il prend ou donne un cliché ? Je n’ai pas de réponse.
Arrivé chez les Karo, je présente la photo papier d’une femme. Quelqu’un la reconnaît immédiatement et m’amène à travers le village jusqu’à elle. Elle prend le cliché, elle prend le temps de l’étudier et me regarde avec une infinie tristesse sans doute touchée de se trouver si belle. Depuis notre passage précédent, elle a été blessée à la tête et me montre ses cicatrices très visibles. Je souris, elle me serre la main et me remercie. »
Jean-Pierre
« Village Hamer. Les variacordes chantent dans une constellation de femmes et d’enfants tandis que je m’éloigne pour ne pas être dans le champ d’une caméra ou d’un appareil photo.
Des yeux éberlués me contemplent. Je m’assieds position « méditation » pour être à la hauteur, bras écartés, paumes vers le ciel. Ils ne comprennent pas pourquoi je semble m’abaisser alors que je me mets simplement à leur hauteur. Alors je prends un peu de terre et m’en badigeonne le nez, les joues et le front : éclats de rire ! Deux jeunes filles me relèvent en me prenant par la main pour me conduire vers un creux rendu boueux par la pluie.
Je m’assieds en tailleur. Immédiatement une foret de petites jambes m’entoure, le sommet de mon crâne est recouvert de terre soigneusement malaxée. La pose est délicate. C’est la pose « nutella » et c’est mon crâne la tartine. Je suis beurré à souhait : white hamer !
Le lendemain deux adultes reprennent le travail des enfants.
Adopté ! »
Robert