C’est notre dernier jour et il est chargé. Nous avons trois rencontres programmées à Addis Abeba.
Tout d'abord, Mekedonia (www.mekedonia.com), centre d'accueil de personnes âgées et de personnes en situation de handicap physique et mental, accueille actuellement 850 personnes dont environ 480 hommes. Ce centre a été créé il y a 4 ans par un jeune homme à son retour des Etats Unis, dans la maison de ses parents. Devant l’afflux des demandes, la maison est devenue très vite trop petite et aujourd'hui, même avec ses 4 maisons réparties dans un rayon d'un km, il est encore prévu une extension pour faire face aux besoins immenses. L'encadrement est assuré par 250 volontaires.
Les personnes accueillies étaient sans famille, vivaient dans la rue, parfois dans un état physique très dégradé. Elles viennent de différents endroits d'Ethiopie. Un film présentant le centre et son action montre quelques situations particulières et le changement spectaculaire des personnes qui retrouvent une meilleure santé et leur dignité après leur prise en charge par les bénévoles du centre, parfois il faut une année entière. Quelle transformation ! Au centre, les personnes accueillies bénéficient de soins médicaux (présence d’un centre médical sur place), de repas réguliers, de vêtements, et d'un hébergement... une fois rétablies, elles aident à leur tour les nouveaux arrivants. Elles retrouvent ici une famille.
Le centre est financé par des dons privés monétaires et en nature (vêtements, nourriture, véhicules, ...). Le gouvernement éthiopien accorde son soutien sous la forme d'une mise à disposition de terrain de 30 000 m2 (3 ha) permettant de faire travailler des résidents. L’association vend également des tee-shirt, sur lesquels il est écrit en amharique quelque chose comme : il faut être humain pour aider des humains, dans le cœur on aide les autres.
Rendez vous ensuite au conservatoire de musique. En attendant que le piano de l’école soit accordé, nous discutons avec les étudiants. Puis avec eux nous nous installons autour du piano. Marc relate sa rencontre avec la musique, et transmet sa vision d’amour et de partage qui motive le projet de la caravane amoureuse. Nous ne sommes pas une organisation humanitaire. Marc utilise une parabole pour décrire notre action : « Du robinet, coule une eau, polluée. L’humanitaire soigne les personne rendues malades par cette eau polluée, nous, nous intervenons en amont pour purifier l’eau du robinet ». « Soyons dans la joie et soyons heureux». Marc parle avec le cœur. Il alterne des morceaux de musique à deux et à quatre mains cette fois avec des personnes initiées.
Robert, notre accordeur, reste après notre départ. Pour lui, tous ces pianos désaccordés sont une souffrance. Le voilà donc qui se met au travail : un puis deux puis trois…. Il n'aura pas le temps d’accorder tous les pianos de l’école de musique comme il l'aurait souhaité. Il faudra qu'il revienne !
Après le repas, direction un centre d'accueil de femmes et jeunes filles ayant subi des violences physiques ou psychologiques (« Safe House » ou Refuge), porté par l'AWSAD (Association for Women's Sanctuary and Development : www.awsad.org). Le lieu est discret et doit rester anonyme pour la sécurité de ces femmes. Ce sont la police et les ONG qui orientent ces femmes venant de toute l'Ethiopie et même d'autres pays proches. Le centre a une capacité théorique de 50 places et ce sont près de 170 femmes réparties dans plusieurs antennes qui sont prises en charge. Elles y restent entre 6 mois et un an et demi pour se reconstruire et préparer leur réadaptation à la vie extérieure. Pendant ce temps elles bénéficient d'un appui psycho-social et d'une aide pour acquérir des compétences pour les rendre autonomes (groupe de parole, formation à divers métiers artisanaux : coiffure, tissage, broderie...). Les enfants (40) peuvent être en crèche et scolarisés au centre. 67 personnes, pour l'essentiel des salariés, travaillent dans l'ensemble des antennes. Le centre est soutenu financièrement par différentes ambassades. La directrice Maria est une ancienne juge.
Dans ces trois lieux, le piano égrène ses notes sous les mains de Marc et de celles et ceux qui jouent à ses côtés. Antoine offre sa musique délicate aux femmes abusées. Quel plaisir à nouveau de voir ces visages s'éclairer. Au centre d'accueil, les jeunes filles proposent à leur tour de la musique moderne éthiopienne qui nous entraîne tous dans la danse.
Il ne reste maintenant que quelques heures avant le retour. Le temps de faire une halte pour rapporter de cet excellent café dégusté pendant le séjour.
Avant que le groupe ne se sépare, certains poursuivant leur séjour, Marc fait un temps de célébration : « pas de fausse note » pour cette caravane. Il remercie tous ceux qui y ont contribué d'une façon ou d'une autre, chacun ayant donné de sa présence. Nous nous félicitons d'avoir pu contribuer à cette belle aventure humaine. Et si elle peut apparaître dérisoire à certains, Marc souligne que ces moments fugaces de regards : « je te vois, je te reconnais » sont très importants pour aller vers un monde plus accueillant.
Et jusqu'au dernier jour, grâce à la ténacité de Danièle notre compteuse qui devait s'assurer de la présence de chacun avant tout départ du bus, le groupe est resté au « complet », pas de perte en route !
Et nous remercions Abéjié pour l’efficacité de son organisation et de son accompagnant en parodiant « On pagaie, on pagaie » : « Abéjié Abéjié, Où t’as mis le piano, là-bas sous les acacias, les crocos ils l’ont bouffé, on peut plus pianoter ». Larmes et fous rires mélangés.
« Quelle présence… Cette femme dégage une telle détermination, une telle force… et une telle tendresse pour les protégées du Centre, AWSAD. Maria, ancienne juge et juriste bénévole auprès des femmes en détresse, a mobilisé ses compétences et ses réseaux pour fonder ce centre d’accueil il y a plus de 10 ans maintenant. Sa particularité, proposer un accompagnement global : traitements médicaux, soutien psychologique, aide judiciaire, formation aux métiers (coiffure, tissage, broderie, …) ou apprentissage de la lecture et de l’écriture. Les (plus ou moins jeunes) femmes qui passent par ce Centre sont accompagnées jusqu’à ce qu’elles retrouvent un mode vie « stable » (un endroit sûr, un toit, un métier) et restent les bienvenues par la suite. Maria qui s’inquiétait de voir monter aux côtés de Marc pour jouer au piano, une jeune femme « qui n’avait plus toute sa tête »… « Au contraire », je lui ai dit, « au contraire, regardez-la, écoutez-la, elle sait... ». Et bien sûr, même sur un temps court, la magie créatrice de la musique a opéré… Parole de musicothérapeute convaincue. Quand elle m’a regardée alors, elle était émue. Et quand elle m’a serré la main, sa chaleur m’était connue... Une femme, ordinaire, qui met en œuvre de l’extraordinaire. Une femme qui respire les convictions, en toute sérénité et avec beaucoup d’amour. Quelle présence ! »
Janik
« Je la vois tout de suite, les yeux baissés, sa tête penchée, petit animal blessé par les hommes.
Je la vois, elle plus qu'une autre. Nos yeux se croisent plusieurs fois. Quelque chose passe entre nous d'indicible.
Je l'approche doucement, joue avec les lignes de sa main. Elle rit, je ris. Un petit jeu tendre s'installe. Elle se cache timidement derrière une partie du foulard qui recouvre ses cheveux, je fais de même avec le bas de ma tunique. Regards en coin. Rires. Reconnaissance.
Assise au milieu de ces toutes jeunes filles blessées par la vie, je devine un petit fil du féminin qui nous relie toutes deux. Pourquoi elle ? Je n'aurai pas de réponse et peu importe. Le lien complice est là qui me fera la toucher avec douceur, lui saisir délicatement les mains, l'encourager et l'accompagner vers le piano de Marc quand elle hésite. Sous son voile, je sens son envie, son en-VIE.
Elle se laisse faire aussi lorsque, A. posant ses mains sur mes épaules d'un geste tendre, instinctivement, intuitivement je lui prends la main. Nous restons ainsi reliés tous les 3, par une chaîne de toucher bienveillant et tendre, silencieusement en apparence, masculin/féminin réunis, moment suspendu où tant de subtil passe.
Plus tard elle me fera un très grand cadeau en dansant avec moi. Nous dansons côte à côte et nos corps dansants se parlent d'évidence. Une onde d'énergie féminine sauvage passe entre nous, à travers et dans cette danse de cœur à cœur. Son voile alors tombe, découvrant ses cheveux noirs, sa beauté de jeune fille si délicate et si fière. Son corps se redresse, son port de tête de reine m’apparaît. Je croise le regard ébloui d'une des soignantes.
En un court instant magique cette jeune fille m'offre son féminin sensuel, puissant et doux. Elle me partage son vivant, son énergie de femme africaine, je lui transmets ma confiance en elle.
Langage universel du corps et de l'âme.
Je la quitte plus tard avec émotion mais certitude de sa force qu'elle m'a fait entrevoir. Face à elle, un dernier geste. Mes bras montent vers le ciel. Ses bras aussitôt font de même. Nous nous sourions. Nous nous comprenons. Je la serre dans mes bras et l'embrasse. Emue de ce moment de grâce simple et pur. »
Pascale
Responsable de l’organisation du transport du piano, Bassam le surveille, l’accompagne, le protège, le bichonne.
Pour le suivi du transport, il est aidé par Roger. Pour les manipulations, descente et montée sur le pick up, il fait appel à tous les caravaniers.
« Véhiculer un piano Yamaha demi-queue dans un pick-up, sur les routes et pistes éthiopiennes n’est pas une mince affaire. Dès le premier jour, l’état de la route a eu raison de notre dispositif d’attaches et nous avons dû apporter des modifications pour le renforcer.
Difficile de fabriquer en très peu de temps un système d’attache solide, résistant et de mise en œuvre facile. Nous avons cogité, acheté quelques planches et à l’aide d’outils pas toujours performants nous avons réussi à mettre en place un système permettant à la fois de jouer assis à l’arrière du pick-up en toute sécurité lors des déambulations et de circuler sur les pistes chaotiques.
Lors des déplacements, nous vérifions régulièrement l’état des attaches et souvent nous réajustons les sangles.
Durant notre périple, nous avons également dû protéger le piano de la pluie et du vent. Lors d’une averse soudaine, il faut réagir très vite et j’ai souvent fait appel aux caravaniers qui bien sûr ont vraiment assurés. Même les filles nous ont aidés !
Arrivé au dernier jour, on peut dire que tout s’est bien passé, il ne reste plus qu’à réexpédier le piano à la maison ! »
Bassam
Grâce à Marc, aux photographes et aux cameramen, nous pouvons vous présenter un premier film synthétisant notre aventure.